De la convivialité à la dépendance. L'alcoolisme mondain, aussi dit "festif" ou "convivial" s'installe au fil des occasions : l'anniversaire d'un.e ami.e, le mariage d'un.e cousin.e, une bière entre collègues avec le travail, un cocktail au bureau, la signature d'un gros contrat, un déjeuner d'affaires important, etc. Mis bout à bout, ces évènements peuvent nous emmener à consommer plus ou moins régulièrement, de sorte à flirter avec la dépendance. Comment la repérer ? Comment la prévenir ? Quelles solutions mettre en place pour réduire sa consommation d'alcool ? Le Dr Jacqueline Kerjean, chef de service addictologie au CH Bretagne Sud et Stéphanie Ladel, consultante sociale et addictologue, nous éclairent.
Définition : qu'est-ce que l'alcoolisme mondain ?
L'alcoolisme mondain n'est pas une question de quantités, mais de fréquence. On parle d'alcoolisme mondain lorsque l'on consomme de l'alcool de façon quasi-quotidienne, en société, à l'occasion de soirées ou d'événements plus ou moins significatifs. Ce phénomène concernerait près de 4 millions de personnes en France, en particulier les hommes. Il est généralement caractérisé par une alcoolisation faible, mais quotidienne, n'entraînant pas de sentiment de dépendance.
Vins, bières, spiritueux... Tous les types d'alcool sont concernés. De même, l'alcoolisme mondain va à l'encontre des clichés selon lesquels les problèmes d'addiction à l'alcool ne concernent que les personnes défavorisées et désocialisées. "Tout le monde peut être concerné par l'alcoolisme mondain", insiste Stéphanie Ladel.
Quel que soir l'environnement social de la personne, ou son niveau de consommation, on estime qu'elle est dépendante à partir du moment où elle ne parvient pas à arrêter de boire, en dépit des conséquences néfastes de la boisson sur sa vie professionnelle, sociale, etc.
Comment savoir si on est concerné.e ?
Vous trouvez toujours "une bonne excuse" pour boire ? Et si vous étiez plus dépendant.e à l'alcool que vous ne le pensiez ? "On peut avoir une consommation que l'on considère comme 'récréative', alors qu'on est déjà addict ou dépendant", prévient le Dr Jacqueline Kerjean.
Pour jauger votre dépendance, essayez de vous passer volontairement d'alcool pendant deux ou trois jours, et prêtez attention à vos réactions.
- Si un sentiment de manque vous envahit (tremblements, anxiété accrue, inconfort, fièvre, etc), la dépendance physique est avérée, il faut alors penser à diminuer sa consommation, en se faisant aider, si nécessaire.
- Si la sensation de manque physique ne vous saisit pas, votre rythme de consommation vous a toutefois alertée et il est bon de limiter au maximum votre consommation. La dépendance n'est peut-être pas encore avérée, mais elle peut très rapidement s'installer.
Quelles en sont les causes facilitatrices ?
La principale cause de l'alcoolisme mondain est, sans équivoque, la volonté de s'insérer socialement. "Parfois, on boit pour faire 'comme tout le monde'. Et cette forme d'alcoolisation sans problématique sous-jacente devient le support d'une vraie dépendance à l'alcool", indique le Dr Jacqueline Kerjean.
Selon une enquête Ipsos, un Français sur quatre déclare effectivement "boire pour faire comme les autres" et 40 % des Français reconnaissent qu'il est "souvent difficile de refuser de boire quand on est invité". Pour cause ? Le prisme sociétal et culturel qui veut qu'on prenne plaisir à bien boire et à bien manger.
Et la spécialiste de souligner que l'alcoolisme mondain peut aussi cacher des problématiques personnelles et un mal-être plus profond, caractéristiques d'un alcoolisme chronique sévère :
L'alcoolisme mondain est un miroir à double face : il renvoie une image de convivialité, mais les personnes ayant déjà un problème avec l'alcool s'en servent de tremplin pour se rassurer par rapport à leur propre consommation.
Alcoolisme mondain : quelles conséquences ?
Les conséquences de l'alcoolisme mondain peuvent être constatées en live : "l'alcool désinhibe et provoque des troubles de la conscience qui peuvent nous pousser à tenir des propos, ou à avoir des comportements inhabituels, qui nous desserviront potentiellement", indique Stéphanie Ladel.
À terme, cette forme d'alcoolisation - qui cache parfois un alcoolisme latent - peut avoir des conséquences psychiques, relationnelles, professionnelles, mais aussi physiques (irritabilité, insomnie, fatigue, etc). Rappelons-le, l'alcool est un composé toxique pour le corps : "tous les niveaux de consommation présentent des risques !", insiste l'addictologue.
Bien qu'elle soit une composante importante de la culture française, la consommation d'alcool reste la deuxième cause de mortalité évitable dans notre pays, après le tabagisme. L’alcool est un facteur de risque majeur pour :
- certains cancers : cancer de la bouche, cancer de la gorge, cancer de l'œsophage, cancer du colon-rectum, cancer du sein chez la femme.
- et de nombreuses maladies chroniques : maladies du foie (cirrhose) et du pancréas, troubles cardiovasculaires, hypertension artérielle, maladies du système nerveux et troubles psychiques (anxiété, dépression - pouvant conduire au suicide), démence précoce, etc.
Sans compter qu'il augmente le risque d'accidents (source 1). Si vous consommez de l’alcool, pour limiter les risques, le ministère recommande de :
- ne pas consommer plus de 10 verres standard par semaine et pas plus de 2 verres standard par jour ;
- et d'avoir des jours dans la semaine sans consommation.
Comment prévenir l'alcoolisme mondain ?
Vous craignez de vous laisser emporté.e en soirée ? Ces quelques conseils pourraient vous être utiles pour limiter votre consommation :
- Ne commencez pas à boire trop tôt, ;
- Prenez votre temps et buvez lentement ;
- Veillez à bien avoir mangé avant, ou à manger en même temps ;
- Évitez de mélanger les alcools, cela augmente la déshydratation et les soucis digestifs ;
- Pensez à boire de l'eau, la règle est simple : chaque verre d'alcool doit être suivi d'un verre d'eau ;
- Ne gardez pas votre verre à la main en permanence, vous n'imaginez pas le nombre de fois où on porte la coupe aux lèvres par simple réflexe ;
- Ne consommez pas d'alcool si vous prenez des médicaments. Certains antibiotiques, mélangés à l’alcool, peuvent induire des nausées, des vomissements, des migraines, voire des convulsions (effet antabuse).
Si vous avez essayé de ne pas consommer d'alcool pendant quelques jours et qu'un sentiment de manque s'est fait sentir, mieux vaut consulter un professionnel de santé qui saura vous accompagner. Dans le cas d'une addiction sévère, le sevrage alcoolique est loin d'être une promenade de santé. Pendant les premiers jours, il peut se manifester par des tremblements, des sueurs, de l’anxiété, une humeur dépressive, des nausées, voire un état de malaise et des douleurs abdominales, détaille le Dr Jacqueline Kerjean.
Une prise en charge thérapeutique peut pallier ces effets et conforter l'objectif du patient. Un médecin peut prescrire des tranquillisants (benzodiazépines, le plus souvent) pour atténuer la sensation de manque, ainsi qu'une cure vitaminée pour compenser les éventuelles carences entraînées par l'alcool. Un suivi psychologique peut aussi être entamé pour entretenir la motivation du / de la patient.e et suivre le bon déroulement du sevrage. Quoi qu'il en soit, aucun cas n'est désespéré, il est toujours possible de sortir de l'alcoolisme.