Chaque année, des milliers de personnes se retrouvent confrontées à une profonde solitude suite au décès de leur conjoint. S’il s’installe durablement, ce sentiment peut malheureusement avoir de graves conséquences sur leur santé physique et mentale. Quels signes doivent alerter l’entourage ? Comment se relever et apprendre à vivre autrement ? On fait le point avec Sandrine Paris et Caroline Billiet, psychologues cliniciennes spécialisées dans l’accompagnement des seniors.
La solitude est inévitable après la perte d’un conjoint !
Comme le rappellent nos expertes, le deuil est un processus psychologique normal, qui ne doit toutefois pas être banalisé. « Son évolution normale tend vers l’acceptation de la perte et l’apaisement, mais plusieurs étapes sont nécessaires pour y parvenir », indique Sandrine Paris. Pour rappel, le deuil se compose généralement de six grandes étapes, dont la durée et l’intensité peuvent varier : le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation et enfin la reconstruction. Ces étapes, bien qu’identifiables, peuvent se chevaucher ou revenir de manière cyclique :
- Le déni, soit le refus d’accepter la réalité de la perte.
- La colère, soit le sentiment d’injustice ou de frustration face à la situation.
- Le marchandage, soit la tentative de négocier mentalement un retour à l’état d’avant.
- La dépression, soit la phase de profonde tristesse liée à la prise de conscience de la perte.
- L’acceptation, soit la prise de conscience que la vie doit continuer, malgré l’absence de l’être aimé.
- La reconstruction, soit la reprise d’une vie avec de nouveaux repères et des projets d’avenir.
« La colère, la frustration ou encore la tristesse cohabitent le plus souvent avec un sentiment de solitude », prévient Caroline Billiet. En effet, après avoir partagé des années, parfois des décennies, avec une personne aimée, son absence laisse un vide immense, à la fois émotionnel, social et même physique, quelles que soient les circonstances de la disparition.
Et l’experte d’ajouter : « La personne endeuillée peut ressentir un sentiment d’abandon, même en sachant que le départ de son conjoint n’a pas été volontaire. Les rituels partagés, les conversations et les projets disparaissent brutalement, ce qui impose de se réinventer… Une tâche d’autant plus difficile que les souvenirs ressurgissent à chaque coin de la maison, à chaque objet ou habitude ».
À noter : pour les seniors, ce sentiment de solitude peut être accentué par des circonstances externes, comme le départ à la retraite, une mobilité réduite ou l’éloignement géographique des proches. La solitude devient alors non seulement une réalité intérieure, mais aussi une réalité pratique, et se transforme parfois en isolement.
La solitude fait partie du processus de deuil et ne doit pas être perçue comme un échec personnel. Bien que difficile à vivre, elle n'est pas définitive : l'accepter permet de mieux la comprendre et, à terme, de la transformer. Sandrine Paris.
Le sentiment de solitude peut persister, même lorsque l’on est entouré(e)
« Le sentiment d’être seul(e) à la mort d’un conjoint n’a rien à voir avec la solitude objective », insiste Caroline Billiet. Autrement dit, ce sentiment n’est pas toujours lié à l’absence physique d’autrui… Il n’est pas rare de se sentir seul(e) et d’avoir du mal à l’expliquer, alors qu’on est entouré(e) de proches aimants ou d’amis présents, constate l’experte.
« Certaines personnes sont objectivement isolées à la mort de leur conjoint, car elles n’ont pas eu l’occasion de tisser des liens forts en dehors du couple. D’autres sont parfaitement insérées socialement et réussissent à donner le change à leurs amis, à leurs enfants et autres proches, mais ressentent en réalité une profonde solitude existentielle », explique-t-elle. Cette situation courante reflète la nature singulière de la relation avec le conjoint disparu…
Un vide difficile à combler
Le conjoint occupe généralement une place unique dans la vie : il est à la fois un partenaire, un confident, et un compagnon dans les routines du quotidien. Lorsque cette personne disparaît, aucune autre ne peut réellement combler ce vide. Et les échanges avec les proches, aussi chaleureux soient-ils, ne suffisent pas toujours à apaiser ce sentiment d’incomplétude. « Bien que l’entourage puisse offrir du soutien, la douleur de l’absence reste profondément intime, ce qui peut donner l’impression que personne ne comprend pleinement ce que l’on traverse, et amplifier le sentiment de solitude », souligne Sandrine Paris.
La difficulté à partager sa peine
Certaines personnes endeuillées ont tout simplement beaucoup de mal à parler de leur tristesse avec leurs proches. Elles peuvent avoir peur de « plomber l’ambiance » ou de paraître trop vulnérables et préfèrent alors garder leurs émotions pour elles. Mais ce silence auto-imposé peut accentuer la solitude, en créant une barrière invisible entre elles et leur entourage.
Par ailleurs, il est fréquent de ressentir un décalage avec les autres. Tandis que le monde continue de tourner, la personne endeuillée peut avoir l’impression d’être figée dans sa douleur. Les conversations légères, les moments de joie ou les activités quotidiennes des autres peuvent paraître insurmontables ou hors de propos.
Un sentiment d’isolement dans la foule
Comme indiqué ci-dessus, la solitude peut persister, même lorsque l’on participe à des événements sociaux, voir des couples partager des moments de complicité, assister à des réunions familiales où l’absence du conjoint est palpable… Autant de situations qui rappellent le manque et renforcent l’impression de ne pas être à sa place.
Cela peut conduire à une forme d’isolement émotionnel, où l’on est physiquement présent parmi les autres, mais intérieurement replié(e) sur soi. Et ce sentiment est d’autant plus difficile à surmonter qu’il est souvent incompris par l’entourage, qui pense qu’une présence physique devrait suffire à apaiser la douleur, explique Caroline Billiet.
Deuil : la solitude prolongée peut devenir dangereuse… Quand s’inquiéter ?
Vous l’aurez compris, la perte d’un conjoint est un événement profondément traumatisant, et la solitude qui en découle est une étape naturelle du processus de deuil. Cela dit, lorsque cette solitude s’installe durablement, elle peut avoir des répercussions sérieuses sur la santé mentale, émotionnelle et même physique !
Quels risques pour la santé mentale ?
- Dépression. Le sentiment d’être seul(e) peut catalyser la tristesse et le désespoir, conduisant tout droit à la dépression, qui nécessite une prise en charge médicale !
- Anxiété. L’anxiété survient lorsque des angoisses surgissent de manière envahissante, qu’elles soient réelles ou irrationnelles. L’isolement peut générer un cercle vicieux au sein duquel la peur de l’abandon / des jugements pousse la personne à se replier davantage sur elle-même et ses pensées.
- Troubles cognitifs. La solitude prolongée est associée à un déclin cognitif, notamment chez les seniors. Plusieurs études indiquent une corrélation entre l’isolement et un risque accru de troubles cognitifs, tels que la maladie d'Alzheimer, en raison du manque de stimulation sociale et intellectuelle. Cependant, la solitude n'est pas une cause directe de la maladie, souligne Caroline Billiet.
Quels risques pour la santé physique ?
- Maladies cardiovasculaires. L’isolement social est associé à une augmentation de l’hypertension, du stress chronique et des troubles cardiaques.
- Affaiblissement immunitaire. La solitude peut fragiliser le système immunitaire, augmentant la vulnérabilité aux infections diverses et variées.
- Troubles du sommeil. L’isolement prolongé est souvent accompagné de problèmes de sommeil, comme l’insomnie ou les réveils nocturnes, qui impactent la santé globale.
- L’absence de soutien régulier peut entraîner une perte de compétences fonctionnelles, comme la gestion de tâches administratives, domestiques ou financières.
- L’isolement peut également augmenter le risque de chutes ou d’accidents à domicile, notamment pour les seniors vivant seuls.
Quel impact émotionnel et social ?
- Perte de confiance en soi. Une solitude prolongée peut engendrer un sentiment d’inutilité, de vie, voire de rejet social.
- Éloignement progressif du réseau social. La personne isolée peut devenir moins encline à initier ou à maintenir des interactions sociales. « La solitude prolongée d’un parent endeuillé peut par exemple affecter l’équilibre familial : les enfants ou petits-enfants peuvent se sentir coupables ou impuissants, entraînant des tensions relationnelles. À l’inverse, la personne endeuillée peut ressentir un sentiment d’abandon si ses proches, pensant qu’elle veut être seule, s’éloignent involontairement », relève Sandrine Paris.
- Risque de marginalisation. Chez les seniors, la perte d’un conjoint suivie d’un isolement prolongé peut conduire à une perte de repères sociaux, en particulier chez les seniors, augmentant la dépendance ou le sentiment d’être « invisible » dans la société.
Des risques comportementaux…
- Addictions. L’isolement peut pousser certaines personnes à adopter des comportements compensatoires, comme la prise de médicaments (addiction aux somnifères, par exemple), la consommation excessive d’alcool, de nourriture, voire la consommation de substances illicites, etc.
- Sédentarité. La solitude favorise souvent un mode de vie sédentaire, entraînant des risques articulaires, une perte de masse musculaire, et des complications métaboliques comme le diabète ou encore l’obésité.
- Négligence personnelle. Les personnes isolées peuvent négliger leur hygiène, leur alimentation ou leur santé globale, ce qui aggrave les risques de maladies
En résumé, quels signes doivent alerter ?
Chaque deuil est différent, mais certains signes peuvent tout de même indiquer que la solitude s’enracine anormalement :
- Un isolement social marqué. La personne évite systématiquement les contacts avec ses proches, ses amis ou ses voisins. Elle décline les invitations et ne cherche plus à maintenir de relations.
- Une perte de motivation généralisée et un désintérêt pour les activités courantes. « Ce qui autrefois apportait du plaisir – loisirs, passions ou sorties – semble désormais sans intérêt », précise Caroline Billiet.
- Des troubles du sommeil ou de l’appétit. Des insomnies persistantes, une perte ou une prise de poids significative, ou encore une fatigue chronique peuvent signaler un mal-être profond.
- Des difficultés à gérer le quotidien. Une maison négligée, des factures oubliées ou une incapacité à accomplir des tâches simples peuvent indiquer que la solitude a pris une place trop envahissante.
- Des pensées négatives envahissantes. Un discours intérieur teinté de désespoir, un sentiment de vide ou d’inutilité, une anxiété exacerbée, voire des idées suicidaires doivent être pris au sérieux !
La solitude prolongée après le décès d’un conjoint n’est pas une fatalité. En identifiant les signes d'alerte et en agissant à temps, il est possible d’éviter qu’elle ne devienne une entrave à une reconstruction apaisée. Caroline Billiet.
Solitude après la perte d’un conjoint : n’hésitez pas à demander de l’aide !
La plupart des personnes endeuillées hésitent à demander de l’aide… Mais il est important de reconnaître quand la souffrance devient trop lourde à porter seul(e). « Admettre que l’on a besoin d’aide est une démarche courageuse, non pas un signe de faiblesse. Cela montre une volonté de prendre soin de soi et d’aller de l’avant », assure Sandrine Paris. Et sa consœur d’insister : « Parler de ce que l’on ressent, même si cela semble difficile, permet souvent de trouver une forme de soulagement ».
Parler avec des amis ou des membres de la famille peut aider à retrouver une certaine normalité. Mais un accompagnement professionnel est souvent nécessaire : il permet de normaliser les émotions ressenties, de construire des stratégies pour avancer jour après jour et de retrouver la confiance nécessaire pour tisser de nouveaux liens. Les groupes de soutien, souvent proposés par des associations locales, offrent aussi un espace d’écoute et de partage précieux. Se retrouver parmi des personnes qui vivent des expériences similaires permet de se sentir compris(e).
Comment continuer à vivre après la mort de son mari ou de sa femme et surmonter la solitude ?
Ces quelques pistes vous permettront sans doute d’avancer…
Acceptez vos émotions
La première étape pour sortir de la solitude après la perte d’un mari ou d’une femme est d’accepter sa douleur. Au risque de nous répéter, le deuil est un processus naturel, qui ne se résout pas du jour au lendemain. Il est important de comprendre que la souffrance fait partie de ce processus, et qu’il est normal de se sentir accablé(e), triste et seul(e).
- Soyez indulgent(e) envers vous-même. Le deuil est un processus difficile et complexe. Ne vous en voulez pas de ressentir du chagrin ou de vous sentir perdu(e).
- Ne minimisez pas vos émotions. « Accepter ses émotions sans honte permet de mieux les comprendre et de les surmonter. La tristesse, la colère et même le sentiment de culpabilité font partie du deuil », insiste Sandrine Paris.
- Donnez du temps au temps. Le deuil ne se résout pas instantanément, il faut du temps pour reconstruire son équilibre. Et ce temps est précieux, car il permet à la douleur de se transformer petit à petit en précieux souvenirs.
Entourez-vous de bienveillance
Il est essentiel de préserver vos liens sociaux, même si vous ressentez le besoin de vous isoler :
- Appuyez-vous sur vos proches. Les amis et la famille peuvent offrir un soutien émotionnel important. N’hésitez pas à leur confier vos sentiments, même si cela peut sembler difficile au début. Une simple conversation ou un café partagé sont des premiers pas encourageants.
- Acceptez progressivement les invitations. Il est parfois difficile de se rendre à un dîner ou de participer à une activité après la perte d’un conjoint, mais ces moments peuvent être l’occasion de tisser de nouveaux liens et de vous reconnecter à la vie sociale.
- Rapprochez-vous d’un professionnel. Un psychologue, un thérapeute ou un conseiller spécialisé dans le deuil peut aider à naviguer cette période trouble. « Parler de son ressenti avec quelqu’un d’extérieur (ni un ami, ni un membre de la famille) permet souvent de libérer sa parole et d’avancer », note Caroline Billiet.
- Rejoignez un groupe de parole. Comme indiqué ci-dessus, il existe des groupes qui permettent aux personnes ayant perdu leur conjoint d’échanger : partager son expérience avec des personnes qui comprennent peut apporter un grand réconfort.
Demandez de l’aide pour votre quotidien
La perte d’un conjoint peut malheureusement avoir des répercussions familiales, financières ou organisationnelles. Cette situation peut vous amener à repenser totalement votre quotidien : déménager dans un logement plus adapté financièrement, reprendre le travail, gérer des enfants ou petits-enfants seul(e), ajuster votre emploi du temps, et retrouver de nouveaux repères.
Il faut absolument demander de l’aide dans ces moments-là. N’hésitez pas à accepter le soutien de vos amis, famille ou collègues. De même, acceptez les mains tendues, que ce soit pour des tâches pratiques comme le bricolage, le jardinage, les courses ou la cuisine. Cela vous permettra de retrouver progressivement votre équilibre.
Prenez soin de votre santé physique et mentale
Prendre soin de soi est une clé essentielle pour sortir de la solitude et reconstruire une vie après la perte d’un conjoint.
« Une structure quotidienne peut apporter un sentiment de sécurité. Même si cela semble difficile au début, se lever, prendre des repas réguliers et faire un peu d’exercice physique peut avoir un effet positif sur l’humeur », note Sandrine Paris. Vous pouvez par exemple miser sur une activité douce comme la marche ou le yoga dans un premier temps.
Des pratiques relaxantes, comme la méditation ou le yoga peuvent être des alliées précieuses pour gérer vos émotions et retrouver la paix intérieure. Sans oublier de prendre du temps pour vous : lisez, écoutez de la musique, chantez, peignez, dansez… Le bénévolat est aussi une bonne option pour vous sentir utile et vous concentrer sur autre chose que la douleur.
En parallèle, prenez soin de votre sommeil et de votre alimentation. « Un corps bien nourri et bien reposé est plus apte à surmonter les épreuves émotionnelles », rappelle Caroline Billiet. Bon à savoir : si vous avez perdu l’appétit, mangez au moins ce qui vous fait plaisir. Puis tentez petit à petit de reprendre une alimentation saine et équilibrée.
Acceptez l’idée de reconstruire votre vie, à votre rythme
- Ne vous précipitez pas. Il n’y a pas de délai pour faire son deuil, chacun(e) réagit différemment. Le processus peut parfois durer plus longtemps que prévu, et c’est tout à fait normal.
- Accepter les hauts et les bas. Le deuil peut se manifester par des vagues de tristesse ponctuées de moments plus légers. Il faut accepter ces fluctuations sans pression.
- Réorganisez votre espace. Certaines personnes trouvent utile de redécorer leur maison ou de réorganiser certains espaces pour se sentir moins envahies par le souvenir du conjoint décédé.
- Donner un sens à votre deuil. Certaines personnes choisissent de rendre hommage à leur conjoint décédé en poursuivant des projets qu’ils avaient en commun, ou en réalisant des actions qui lui auraient fait plaisir.
- Pensez à vos besoins à long terme. La solitude peut durer un certain temps, mais il est possible de repenser sa vie et d’envisager des projets personnels. Pourquoi ne pas envisager de voyager, de continuer à apprendre, ou même de réorienter sa carrière ?
- Acceptez un futur sans son conjoint. Cela peut prendre du temps, mais avec l’acceptation viendra une nouvelle phase durant laquelle il sera possible de vivre des moments de joie à nouveau, même si cela se fait différemment. Qui sait… Vous pourriez même ouvrir votre cœur à nouveau !
L’objectif n’est pas d’oublier l’être cher, mais de continuer à vivre, d’évoluer et de découvrir de nouvelles façons de s’épanouir tout en honorant la mémoire de celui ou celle que l’on a aimé. Sandrine Paris.