Santé Magazine, le féminin qui fait du bien !

Dépression prénatale : quand le mal-être s'impose pendant la grossesse

La dépression pendant la grossesse. © iStock

Publié le par Magali Regnier Experte : Elise Marcende, présidente de l'association Maman Blues, sur la difficulté maternelle.

Si la grossesse est bien souvent perçue comme un heureux événement, il peut arriver, plus fréquemment qu'on ne le croit, que cette période soit le berceau d'une dépression chez la femme enceinte. Un mal-être qu'il convient de ne pas minimiser et d'aborder avec tact pour trouver des solutions. Éléments de réponses avec Elise Marcende, présidente de l'association nationale Maman Blues.

Est-ce normal d'être triste enceinte ?

Toute femme qui a été enceinte dans sa vie peut en témoigner : la grossesse n'est pas une période toujours simple à vivre, que ce soit au niveau physique ou émotionnel. Dans ce grand chamboulement, rien d'étonnant alors à ce que la femme enceinte éprouve, par vagues, une certaine tristesse. "La grossesse n'est pas linéaire" prévient Elise Marcende, présidente depuis 6 ans de l'association Maman Blues qui sert de relais dans la difficulté maternelle, sur tout le territoire. 

Petite déprime, petit moral, des émotions passagères tout à fait normales

"Pendant la grossesse, la future maman se rend compte que les choses vont changer, que la vie, le couple ne seront plus les mêmes à la venue de son enfant. Elle peut également faire face à des événements inattendus, une grossesse pathologique, un risque pour son bébé, et devoir alors faire le deuil d'une grossesse idéalisée et qui ne se passe pas comme prévu", évoque Elise Marcende. La tristesse liée à une forme de nostalgie viendra  par vagues, mais ne s'installera pas dans la durée et ne sera pas insupportable pour la future maman.

Qu'appelle-t-on une dépression prénatale ? Quels sont les symptômes ?

Contrairement à la baisse de moral qui peut être un sentiment passager, la dépression pendant la grossesse, elle, est un sentiment de tristesse certes, mais qui s'impose sur tout le reste, devient constant et ne quitte plus la femme enceinte. Celle-ci sombre alors dans un état difficilement supportable, qui s'accompagne des signes classiques de la dépression :

  • humeur changeante
  • irritabilité
  • perte d'intérêt et de plaisir, même pour les choses que l'on aime faire d'habitude.
  • difficultés à se concentrer, à prendre des décisions alors même que ce n'est pas le tempérament habituel de la personne.
  • troubles alimentaires : une envie excessive de manger ou au contraire une perte totale d'appétit.
  • troubles du sommeil et fatigue intense.
  • douleurs somatiques.

Une anxiété omniprésente

Représentante d’usagers, Elise Marcende insiste aussi sur un point lié à la grossesse : lors d'une dépression, la femme enceinte est bien souvent en proie à une forte anxiété. Elle éprouvera une peur intense face aux démarches à effectuer en post-partum ."Congé maternité, congé parental, reprise du travail, mode de garde... Toutes ces thématiques l’angoissent fortement et prennent une place importante dans son quotidien par rapport à tout le reste. Ce  n'est pas une petite anxiété, c'est un sujet qui tourne en boucle" prévient la présidente de l'association.

Pour savoir si on a des signes évocateurs de dépression, on peut répondre à un rapide questionnaire en ligne. Cela permet de se poser les bonnes questions pour faire le point sur son moral et consulter si besoin.

Quelles sont les causes de la dépression durant la grossesse ?

Il est essentiel de mettre davantage en lumière les facteurs favorisant l'apparition d'une dépression. Ils sont multiples et peuvent être différents pour chaque femme en souffrance. On reconnaît cependant plusieurs situations qui peuvent fragiliser la future maman et la faire glisser vers une dépression pendant la grossesse.

  • La précarité, qu'elle soit économique ou sociale,
  • Un événement difficile pendant la grossesse, comme la perte d'un proche, une séparation brutale.
  • Des difficultés et des conflits au sein du couple.
  • Une situation de harcèlement ou de conflit dans le monde du travail
  • Des fausses couches, à répétition ou non, et la peur qui en découle de perdre cet enfant.
  • Un bébé chez qui on détecte un problème, une malformation, une maladie, ce qui peut parasiter les liens d'attachement à l'enfant...

Des antécédents dépressifs ou une fragilité psychologique sont également des facteurs aggravants dans les risques de dépression. Néanmoins, celle-ci n'est pas une fatalité pour autant : "Il existe de nombreux facteurs qui peuvent fragiliser une femme enceinte. Mais chaque personne est différente : certaines vont cocher toutes les cases sans jamais tomber en dépression, d'autres au contraire peuvent ne pas être détectées car elles ne semblent ne pas avoir de raison, et pourtant... " révèle Elise Marcende

Les hormones jouent-elles un rôle dans la dépression ?

Dans le cas d'un changement de comportement, les hormones ne sont pas à négliger. "Ce ne sont pas les hormones qui sont à la base d'une dépression, mais il est toujours bon de faire un check-up médical avant tout pour vérifier qu'il n'y a pas d'hyperthyroïdie, par exemple, qui peut avoir un impact fort. Le mieux étant encore de pouvoir proposer à ces femmes d'allier le physique et le psychologique, de les accompagner par une approche corporelle et un suivi psychologique si nécessaire. Un traitement médicamenteux peut également être proposé.  

Quelles solutions apporter à une femme enceinte en dépression ?

Parler à un professionnel de confiance

Face à la dépression prénatale, il existe cependant des solutions, qui passent généralement par le fait de parler de son mal-être à une personne de confiance dans son parcours de grossesse. "En général, les femmes sont suivies par une sage-femme libérale et par un médecin ou plusieurs médecins, voire directement à l'hôpital pour celles qui vivent une grossesse pathologique. Elles peuvent alors commencer par leur confier leur état, tout en demandant un rendez-vous avec le psychologue de la maternité... toutes les maternités en ont aujourd'hui." confirme Elise Marcende.

Les unités mères-bébés sont également adéquates et ajustées à la prise en charge de l'anxiété périnatale pour toutes les femmes, celles dont on redoute une dépression post-partum ou des troubles de l'attachement après la grossesse, celles qui souffrent de pathologies psychiatriques telles que la bipolarité ou encore celles qui ont tout simplement besoin de soutien. Si un risque de dépression est identifié, il est  généralement proposé en première intention des consultations en anténatal, pour avoir un pied dans la prise de charge en unité.  

Le point de départ, c'est d'en parler, et de mettre en place tout un maillage autour de la femme enceinte, via la PMI, la maternité, le psychologue de la maternité, un médecin ou un psychologue en libéral "avec une étiquette périnatalité" insiste Elise Marcende, "pour ne pas minimiser ce qu'elles sont en train de vivre en leur rétorquant que la grossesse est un moment heureux. "

L'EPDS, un test pour évaluer sa dépression

Pas assez systématisée encore en France, l’EPDS (pour Edinburgh Postpartum Depression Scale, l’échelle de dépression post-partum d’Édimbourg) est un questionnaire d’autoévaluation d’un état dépressif qui permet par le biais de dix items d'évaluer ses symptômes dépressifs dans toute la période périnatale, et pas seulement en post partum. "Le sujet a longtemps été tabou, la grossesse devant être heureuse", évoque Elise Marcende "mais c'est un phénomène dont on prend la mesure aujourd'hui et les outils numériques peuvent aussi aider. Développée en France par la Fabrique Sociale du Numérique, l'application des 1000 premiers jours, financée par le Ministère des solidarités et de la santé, permet un accompagnement digital de la conception de l’enfant à ses deux ans. .

Le partage d'expériences

Non, la femme enceinte en dépression ne souhaite pas connaitre les histoires de toute sa famille et les "moi, j'aurais fait ainsi". En revanche, grâce à Maman blues, seule association nationale sur le sujet et sur le territoire français, elle peut être soutenue par d’autres femmes ayant connu une situation similaire à travers un forum, des groupes d’échanges. Elle aura également la possibilité d’être mise en relation avec des professionnels sensibilisés et formés aux problématiques périnatales.  

Comment traiter la dépression pendant la grossesse ?

Selon la nature de la dépression et surtout sa sévérité, un traitement thérapeutique, associé ou non à un traitement médicamenteux, doit être proposé. « L'objectif est d'avoir un suivi resserré par l'intermédiaire d'un psychiatre dédié et qui sera en lien avec les structures prenant en charge la femme (maternité / Unité Mères Bébé / CMP », explique Elise Marcende. 

Une psychothérapie

En lien avec la psychologue de la maternité ou d'autres professionnels compétents, une psychothérapie est le plus souvent mise en place pour découvrir et avancer dans ce qui se joue dans la dépression anténatale : le lien mère-enfant, l'attachement, le passé, une fragilité déjà présente… 

La thérapie comportementale et cognitive (TCC) est-elle adaptée?

Perçue comme alternative aux traitements médicamenteux, la thérapie comportementale et cognitive (TCC) obtient de très bon résultats... quand il s'agit de se défaire d'un comportement problématique, telle qu’une phobie, ou un trouble du sommeil pendant la grossesse. Les psychologues émettent toutefois des doutes dans ce cas précis :  la dépression n'est pas “un comportement à éviter”ou à rejeter pendant la grossesse. C’est, au contraire, une situation à explorer et à comprendre pour en sortir.

Le recours aux antidépresseurs

Si les symptômes persistent, s’il s’agit d’une dépression aiguë, ou si la femme enceinte suivait déjà un traitement avant sa grossesse, alors un traitement pharmacologique, peut se justifier ou être adapté pour que la mère aille mieux. Il s'agit dans la plupart des cas, d'inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) (liste en source 1), qui ne sont pas interdits pendant la grossesse.

Quels effets les antidépresseurs peuvent-ils avoir sur le bébé ? La question est légitime et n’est pas encore entièrement tranchée. Les scientifiques s'accordent toutefois : il n'y aurait pas de lien établi entre la prise d'antidépresseurs et le spectre autistique chez l'enfant (source 2). Un suivi, et une attention particulière seront de toute façon portées au bébé à sa naissance pour surveiller d’éventuels effets du traitement. Mais comme les psychologues d'unités mère-bébé le rappellent « pour que le bébé se porte bien, il faut avant tout que la maman se porte bien ». Les risques connus pour le bébé, liés à la dépression même de la femme enceinte (troubles du comportement, troubles cognitifs, troubles du lien…) sont eux, bien réels et doivent rentrer dans l'évaluation bénéfices-risques.

Que peut faire l'entourage en cas de dépression prénatale ?

"Surtout ne pas minimiser la situation ! Et dire que ça va passer !", conseille Elise Marcende. La situation est très difficile pour les proches, le père, les grands-parents... qui ne reconnaissent pas la personne qu'ils côtoient quotidiennement, mais minimiser est terrible pour la mère, car ce qu'elle vit peut être très fort, voire violent. Au contraire, mieux vaut prendre la mesure du problème et lui proposer d'être présent, d'écouter, sans jamais être dans le conseil.

Les proches peuvent également proposer des pistes, faire les démarches (recherches, appels...) qui semblent insurmontables à la femme. "J'ai découvert une association","on m'a parlé d'un professionnel de santé compétent..." ou encore proposer cette fameuse échelle d'évaluation sont des comportements qui peuvent aider la future mère. "L'entourage peut ne pas comprendre, mais il doit être empathique et encore mieux, peut s'associer à la prise en charge, avoir un rôle" témoigne la présidente.

Les pères sont-ils aussi victimes de dépression ?

Selon les dernières études sur le sujet, 14 à 18 % des mères souffriraient d'une dépression pendant la grossesse. Un chiffre déjà conséquent, qui ne prend pas en compte les conjoints : "Les pères seraient eux aussi 6 à 15 % à ressentir les symptômes de la dépression pendant la grossesse", confirme Elise Marcende. Cependant chez l'homme, la dépression peut prendre une autre tournure et d'autres symptômes : enfermement, violence, addictions qui se développent... Le rapport au corps est bien différent. "Il est important que les pères soient associés à la prise en charge de leur femme. Car beaucoup assurent aussi sur le moment... et s'écroulent derrière, ce qui n'aide personne." confie-t-elle.

Et après ? La dépression post-partum est-elle inévitable ?

Pas forcément. Ce qui est sûr, c'est qu'une dépression prénatale qui n'est pas prise en charge, non suivie ou encore  passée sous les radars a de fortes chances d'évoluer vers une dépression du post-partum. En revanche, certaines femmes vont passer à autre chose et reprendre leur vie  une fois leur bébé arrivé. "Mais quand on sombre pendant des mois, cela peut mettre encore quelques temps pour retrouver un équilibre”. Là encore la discussion, et la prise en charge se révèlent souvient des soutiens nécessaires.

Sources

Sujets associés

OSZAR »