Tout semblait pourtant bien parti. Le 27 mars, l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) avait annoncé des résultats préliminaires très positifs, bien qu'en attente de publication dans une revue scientifique, concernant un essai clinique basé sur le médicament tocilizumab (Actemra ou RoActemra ) du laboratoire Roche.
Démission du premier comité de suivi de l'étude
« Compte tenu du contexte de la pandémie, les chercheurs et le promoteur se sont sentis obligés, d'un point de vue éthique, de communiquer ces informations, en attendant l'examen par les pairs tout en continuant le suivi plus long de ces patients », avait alors expliqué l'AP-HP. Ces résultats préliminaires avaient par ailleurs été communiqués aux autorités sanitaires françaises et à l'Organisation mondiale de la santé.
Ces justifications n'ont pas convaincu les membres du comité indépendant de suivi des études menées dans les hôpitaux de Paris contre le Covid-19. Ces experts ont démissionné le 30 avril pour manifester leur "vif désaccord". Selon le Canard Enchaîné qui a dévoilé l'affaire, les experts ont jugé l'annonce prématurée et dénoncent de "nombreux dysfonctionnements" dans la conduite de l'essai clinique. Un nouveau comité de suivi de l'étude a depuis été nommé (communiqué de l'AP-HP du 5 mai).
Un possible traitement contre les formes graves de Covid
Une large majorité des personnes infectées par le nouveau coronavirus développe une forme légère de Covid-19. Cependant, parmi les patients, 15% nécessitent d’être hospitalisés dont 5% devront être admis en réanimation pour une forme sévère (chiffre Inserm). Hormis les éventuelles pathologies associées qui compliquent leur situation clinique (obésité, hypertension...), le système de défense de l'organisme de ces patients semble aussi impliqué. « En effet, une semaine environ après le début des symptômes, l’aggravation de l’état respiratoire observée chez certains n’est pas uniquement liée au virus : elle est aussi associée à une réponse immunitaire exagérée », précise l'Inserm.
On parle « d'orage cytokinique », un phénomène lié à la production en excès de certains médiateurs de l’inflammation (cytokines) dont l’interleukine-6 (IL-6). Chez les patients avec pneumonie Covid-19, les spécialistes pensent que cet orage cytokinique d'origine immunologique conduit à une complication, l'insuffisance respiratoire aigüe, voire au décès. Pour mieux combattre ce phénomène, l'AP-HP a lancé fin mars le programme CORIMUNO-19, afin de tester l'efficacité et la tolérance de divers médicaments immuno-modulateurs chez les patients avec infection Covid-19 sévère. C'est dans ce cadre que s'est tenu l'essai clinique impliquant le tocilizumab.
Le tocilizumab déjà utilisé contre la polyarthrite rhumatoïde
Comme ce médicament fonctionne-t-il ? Déjà utilisé contre la polyarthrite rhumatoïde, ce dernier se lie de manière spécifique aux récepteurs de l'interleukine (IL)-6. Une cytokine (substance synthétisée par certaines cellules du système immunitaire et qui agit sur d'autres cellules immunitaires pour en réguler l'activité) pro-inflammatoire qui joue un rôle de régulateur de l'inflammation, de la fièvre, du sommeil, de l'hématopoïèse (formation des cellules du sang) ou de la destruction osseuse. Comme l'explique la revue médicale Vidal, « le rôle de l'IL-6 a été mis en évidence dans la pathogenèse de maladies, notamment les affections inflammatoires, l'ostéoporose et les néoplasies ».
Moins de patients en réanimation
Les patients sélectionnés devaient répondre à un critère précis : être hospitalisés pour pneumonie COVID-19 moyenne ou sévère et être sous oxygène, mais dont l'état de santé ne nécessite pas pour autant d'être admis en réanimation au moment de leur admission. Au total, 129 patients ont été inclus dans cette étude appelée « Corimuno-Toci » : 65 ont reçu le traitement habituel et du tocilizumab et 64 ont reçu le traitement habituel.
« On a diminué de manière significative le nombre de patients devant aller en réanimation et le nombre de patients décédés. C'est très positif », avait fait savoir au journal Le Parisien le Pr Olivier Hermine, hématologue à l'hôpital Necker qui a participé à l'étude.
Les patients du premier groupe ont été suivis pendant quatorze jours et les médecins n'ont pas noté d'effets indésirables notables. Mais ces derniers soulignent aussi que le tocilizumab n'est pas exempt de risque : « Il peut augmenter le risque d'infection bactérienne ou encore de problème hépatique. Dans tous les cas, il ne faut pas en prendre en automédication. »
Des résultats préliminaires qui doivent être confirmés par des études supplémentaires. L'AP-HP indique que d'autres essais menés dans le cadre du programme CORIMUNO testant d'autres traitements inhibiteurs des récepteurs de l’IL-6 sont en cours d'analyse.